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Même aujourd’hui, à l’heure de la sur-intensification des flux et à l’exponentielle diminution du temps de diffusion, il arrive que certains disques se perdent, soient mal réorientés, se retrouvent égarés, malencontreusement coincés dans un recoin du récif, là où même la vague ne peut les déloger. On pense alors qu’ils seront perdus pour toujours, qu’ils n’arriveront jamais à bon port et que la non-connaissance de leur existence viendra étoffer la montagne sans cime des rencontres ratées. Cela aurait pu être le cas de « Migration », troisième album du combo brooklinien Takka Takka sorti en 2008, si une inattendue (et pour cause) distribution européenne n’avait pas été décidée plus de vingt mois après la sortie originale.

Camarade de première partie de Clap Your Hand and Say Yeah !, dont le batteur Sean Greenhalgh est ici à la production tandis que le guitariste Lee Sargent apparait lui sur quelques titres, Takka Takka est un groupe intriguant quelque part entre le math-rock et le minimalisme, le tout mâtiné d’affro pop et de rythmes sophistiqués rappelant Brian Eno.

D’un côté on y sent les guitares prêtes à rugir qui s’échauffent derrière les barreaux sans jamais pouvoir s’échapper au regard narquois du piano (« Monkey Forest Road »), de l’autre on se fait accaparer par des ambiances cotonneuses en forme de folk spaciale (« Change, No Change »). C’est une histoire de tension contenue, de tension qui ne jaillit jamais, une ode aux fébriles moments que l’on imagine précéder à l’explosion. On alterne le plus et le moins, on pousse vers le haut et au dernier moment on retire vers le bas.

Au milieu de l’album, « Homebreaker » est une sorte de sommaire intermédiaire de « Migration ». L’introduction est minimaliste et anxiogène, les voix lointaines susurrent des rêveries psychédéliques lorsque soudain une montée d’adrénaline fait apparaitre une clairière au milieu des bois, une clairière où une guitare funky se cale sur les notes rondes et jouées au doigt d’une basse qui aurait su refreiner les ardeurs de Anthony Kiedis et puiser chez Gang Of Four son gout pour la mixité sociale. Car oui Takka Takka est avant tout un groupe qui ne prend jamais son public de haut, au contraire il conserve au milieu de ses toiles cérébrales de vraies mélodies pop que, tel un Robin des Bois moderne, il vole aux riches qui se sont empiffrés jusqu’au diabète pour redistribuer aux pauvres qui n’aspirent qu’à se nourrir dans la dignité humaine (« Silence »). Le trio américain ne remplit les stades que l’espace d’un instant, il offre à la foule son du et se retire aussi tôt emmenant dans son nuage les nouveaux fidèles. C’est un peu comme si Pinback faisait des reprises de Coldplay ou qu’un groupe de post rock voulait se racheter auprès des hommes en leur offrant des pop song lumineuses (« The Takers »). A la manière d’un Grizzly Bear, les formats explosent pour être redistribués aux plus démunis.

Si l’on reprochera dans un premier temps à « Migration » d’être composé de chansons qui ne sont que des extensions des précédentes, de chansons qui jouent sur les même gimmicks, les mêmes retournements mélodiques (« One Foot In A Well »), on réalisera vite que ce qui empêche l’adhésion totale provient de ce côté propret dont le groupe ne se débarrasse jamais. Les cinq musiciens sont trop précautionneux, à la recherche d’une perfection qui les restreint au point de les faire tomber dans le piège des groupes qui trop occupés à avoir l’air intelligents (et irréprochables) en oublient de poser leur trippes sur la table ; le même piège où s’est engouffré par exemple Foals avec son « Total Life Forever ». Cependant armé d’un spectre d’influences très large et d’un goût certain pour les rythmiques qui créent la différenciation, on réalise que les Takka Takka réussissent bien à passer dans le tunnel où justement le quatuor d’Oxford s’était râpé les flancs.

Note : 7/10

>> A lire également, la critique de Benoit sur Hop

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