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On se souviendra avant tout de l’histoire. Ou de l’Histoire. Giles Corey, petit propriétaire terrien embourgeoisé, droit dans ses bottes et têtu comme une mule quelque part dans le Massachussets, autour de Salem, se retrouve dans une tourmente orchestrée par celles qu’on appellera plus tard “les sorcières de Salem”. Il aurait assassiné et fricoté avec le diable, il aurait été une des mains du malin dans une Amérique puritaine. Son entêtement lui évita la pendaison. A la place, il eut droit à un châtiment bien plus exotique, l’écrasement progressif par des pierres. Il lui fallut trois jours pour rendre son dernier souffle. Giles Corey a refusé son procès comme il a dû refuser le purgatoire.

La petite histoire, maintenant. Dan Barret, membre d’un des plus beaux secrets de la musique américaine, appelé ironiquement Have a Nice Life. Une musique noire qui n’a pour limite que le silence, où la violence est dans le non-dit. On se souviendra donc de cette histoire : Dan Barret a choisi de se tuer. C’est là la motivation. Tel un David Tibet, Dan Barret remet tout en perspective après sa tentative ratée. Et la question revient sans cesse, elle est morbide mais elle ne le quitte pas : la vie vaut-elle tout ces tourments ? On en revient à toute la métaphysique, à l’existentialisme, aux questions les plus primaires et, paradoxalement, les plus abstraites. Se coller une balle dans la tête apparait alors comme une non-réponse. Et Dan Barret, revenu du plus profond de sa dépression, ne se défaussera plus.

Des plus humides bas-fonds où errent quelques fantômes, Dan Barret commence sa lente rédemption. Les bruits d’ambiance de l’heure pendant laquelle il gisait inconscient après sa tentative tapissent cette simple rengaine de piano, digne des plus basiques films d’horreur. Tout se joue dans la douleur dans la voix, dans les cris et la souffrance que Barret expulse à chaque mot. Ce n’est plus simplement de la musique, c’est de l’exorcisme, Dan Barret prend les traits de Giles Corey et se défait des esprits sombres qui l’entourent. Il écrase ses tourments comme il aurait aimé écraser ces sorcières, une revanche sur son triste sort. Le cheminement de la douleur, à grand coup d’orgues et d’incantations mène à une conclusion nette : “I’m going to do it”.

Tout est dans l’ambiguïté de ce titre. “Je vais le faire”, me condamner et en finir à jamais. “Je vais le faire”, continuer de lutter pour vivre, malgré la dépression, malgré la tristesse et la mélancolie. Et là, derrière les immenses volutes de ténèbres apparait le premier halo de lumière. La foi pointe son nez, Dan Barret recherche à présent la paix. “I want to feel like I feel when I’m asleep”. Adieu les envies destructrices, peut-être qu’il n’a toujours pas trouvé de réponse à la question qui le hante, mais il est au moins décidé à lutter pour voir si cette réponse est à portée de main. Face à cette décision, les mélodies s’éveillent et enterrent les lamentations. Giles Corey réapparait alors, celui passionné par la vérité, l’entêté qui refuse son procès. Dan Barret lui emboîte le pas dans sa quête pour sa vérité.

Le surnom Giles Corey prend alors tout son sens. Dan Barret, hanté par de nombreux démons comme Corey par les sorcières, fait le choix de la vie au lieu de se laisser mourir. Corey s’est laissé mourir, Barret a eu la chance de se rater. Son art comme thérapie (le disque vient avec un livre de textes et dessins), il décide de mettre Corey à la fosse commune, de laisser son passé derrière lui, de graver un souvenir pour ne jamais l’oublier, et ainsi, toujours garder en tête que quoiqu’il arrive, on trouvera toujours un peu de lumière dans les plus sombres couches d’obscurité.

Note : 8,5/10