Depeche Mode #1 : No Disco
Comment tu t’épelles?
Vieux problème ça. Enfant, il a d’abord fallu qu’on me dise de cesser de mettre des accents partout sur les “e” de Depeche mode, parce que ça craint, à peine si les frangins ne baissaient pas la voix en murmurant “arrête tu vas nous faire repérer!” Ensuite on m’a interdit d’écrire “Iraigeure”, tout ça parce que ça s’écrit Erasure, tu vois le genre. C’est pas qu’on soit une famille de prix Goncourt, mais faut faire un minimum gaffe, il y a comment on le speak et le comment ça se spell.
De toute façon DM et moi c’est un long malentendu.
“Oh l’amour… broke my heart…” L’après-midi, je piquais les cassettes des frangins (des Maxell UD II 90, le top du top), et dans ma chambre je dansais sur les mêmes tubes que mes aînés, ceux qui me claquaient la bise à 23h en partant tous en boîte, me laissant dans mon pieu avec un album des Pieds nickelés et le ressac en guise de bande son. A l’époque les choses étaient simples. Il y avait le rock, et le rock c’était AC/DC, U2 et Queen. Et il y avait la new wave. Ben oui la new wave, vous savez, quoi, allez, Depeche mode, Yazoo, Erasure, Righeira, P Lion, bref tous ces trucs où la guitare laissait le rôle principal aux claviers.
Hum…
Espérons que Robert Smith et Peter Hook ne nous lisent pas. Quelle bande d’irresponsables tout de même les cousins, de me laisser baigner dans mon erreur comme une mouche dans le bac refroidi de la friteuse. Mais ils ne sont pas si coupables car ils m’ont laissé l’amour du son. C’est de l’histoire longue, Depeche Mode. L’un des seuls groupes encore en activité qui continue de m’accompagner depuis mes plus tendres années, et sans jamais avoir déchu. DM, c’est mon histoire, et mon histoire est faite d’erreurs et de ratures.
Lorsqu’en sixième, je convaincs la prof de musique de me laisser une séance pour faire une histoire du rock, je n’ai pas souvenir d’avoir parlé de Depeche Mode. Un scrupule? Une légère indécision sur l’étiquette à leur attribuer? Après-tout, qu’est-ce que j’y connais à ce groupe?
C’est toute la question, qu’est-ce que j’y connais? “Disco not disco”, c’est la racine du problème. Parce que j’ai connu ce groupe à travers des single, les albums sont venus plus tard, bien plus tard. Des années avaient passé avant de réaliser que celui qui a écrit See you, l’un de mes plus anciens 45 tours, n’est pas celui qui me faisait danser sur I just can’t get enough. Ni disco, ni new wave, mais dansant et électronique, mais pas OMD ni Kraftwerk, je n’ai jamais trop su ce que c’était que ce truc.
Il y a du beau sur Speak and spell, l’étrange Tora! Tora! Tora!, plus kraftwerkien qu’autre chose, Puppets et sa sobriété martiale, Big muff et son riff de clavier qui a inspiré Miss Kittin 20 ans plus tard, ou évidemment Just can’t get enough, bien plus puissant dans sa version de presque 7 minutes. Tout a vieilli, l’album est inégal, mais il y a de quoi s’incliner bien bas. No disco n’en est même pas le meilleur morceau (Puppets, my love!), juste le plus riche de significations.
No disco. Deux petites lignes de clavier, et cette voix qui attaque par les graves. Le chant n’est pas encore le fort de DM, mais ils s’en sortent bien, légèrement en retrait et avec un certaine douceur (Puppets, décidément une merveille). No disco. Cette chanson part un peu en tous sens. Excitation de la jeunesse, difficulté à trouver sa place, Vince Clarke est un peu en surchauffe. En 6 ans il fonde 3 groupes et accumule les tubes. Tout le monde n’est pas Pete Best, viré des Beatles juste avant les succès. Non, Clarke les a signés, lui, les succès, les royalties tombent même s’il ne sera pas sur les futures photos de DM. Du premier DM à Erasure en passant par Yazoo, Clarke n’a d’ailleurs jamais brillé par sa photogénie, malgré toute l’affection que je lui dois.
N’empêche. Avec obstination, de groupe en groupe il a continué à chercher la bonne formule, cette disco not disco, posant déjà ses premiers gimmicks d’écriture qu’on retrouvera notamment dans son duo avec Alison Moyet.
Avec No disco, avec Speak and spell, Depeche Mode est déjà DM, mais c’est aussi Vince Clarke qui est déjà lui-même. Un point de départ qui est, ironie, une croisée des chemins. Un disque. Des possibles. Et un résumé de mes années 80.
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L’intégralité de la série Depeche Mode :
- Episode #1 : No Disco (par Arbobo)
- Episode #2 : Master & Servant (par Ulrich)
- Episode #3 : Sometimes (par Ulrich)
- Episode #4 : Never Let Me Down Again (par Anthony)
- Episode #5 : Sweetest Perfection (par Olivier Ravard)
- Episode #6 : In Your Room (par Jean-Sébastien Zanchi)
- Episode #7 : Precious (par Benjamin Fogel)
- Depeche Mode #1 : No Disco par Arbobo
- Depeche Mode #2 : Master and Servant par Ulrich
- Depeche Mode #3 : Sometimes par Ulrich
- Depeche Mode #4 : Never Let Me Down Again par Anthony
- Depeche Mode #5 : Sweetest Perfection par Olivier Ravard
- Depeche Mode #6 : In Your Room par Jean-Sébastien Zanchi
- Depeche Mode #7 : Precious par Benjamin Fogel