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Je ne voulais pas écrire sur « Sect(s) ». Non pas que le disque ne me touche pas suffisamment (au contraire, il aurait tendance à me toucher trop), mais parce que, étant la première partie d’une trilogie intitulée « 777 », il me semblait plus pertinent de patienter, de laisser le projet se construire et, seulement ensuite, se plonger dedans, en comprendre les tenants et les aboutissants. De la même manière que je peine parfois à écrire sur une saison d’une série sans pouvoir profiter de la vue d’ensemble, parler de ce « Sect(s) » me donne l’impression de juger les fondations d’une construction sans avoir la moindre idée de ce que l’architecte bâtira dessus. Ainsi, on aurait dû en rester là, mais à quelques semaines de la publication de « The Desanctification »,  face à l’échéance qui se rapproche, je réalise combien j’ai envie de détacher cet album de la suite. C’est comme si j’avais peur que l’avenir me donne tort et qu’il entache la perfection de ce disque ; pessimiste, je préfère ne prendre aucun risque et l’ériger comme un monument propre, avant que de nouveaux échafaudages l’enlaidissent et que les nouveaux étages trahissent la logique de sa structure. Arrêter les choses avant qu’il ne soit trop tard ; avoir hésité six mois pour finalement se décider à une semaine de la date limite.

« Sect(s) » apparait comme une étape décisive dans la carrière de Blut Aus Nord : il est à la fois un bilan avant de tourner la page et une consolidation des bases. Tout Blut Aus Nord est enfermé (voir prisonnier) de ces six chansons, comme si les forces avaient été rassemblées avant de partir pour le nouveau monde. Il y coule la brutalité malsaine de « The Work Which Transforms God », le goût pour les déviances électroniques de « Thematic Emanation Of Archetypal Multiplicity », les ambiances cosmico-célestes des claviers de « Memoria Vetusta II », ainsi que les dissonances dérangeantes de « MoRT ». C’est une rencontre de toutes les esthétiques du groupe, du mal, du bien, et du mal déguisé en bien. Auparavant, tous les albums de Blut Aus Nord se sont répondus entre eux comme s’il s’agissait d’instaurer un dialogue métaphysique entre l’ombre et la lumière. Chaque impulsion donnée à la voie du nord aura été compensée par un tir en direction de la voie du sud. Tout est ainsi question d’équilibre chez les français ; un équilibre poussé encore plus loin sur « Sect(s) » puisque cette fois ce ne sont pas les albums qui inversent successivement les polarités, mais bien les morceaux eux-mêmes, et ce parfois au sein d’un seul et même titre.

Pourtant, je dis bien « Sect(s) » apparait comme une étape décisive et non pas « Sect(s) » est une étape décisive. Pourquoi cette réserve ? Parce que Blut Aus Nord n’est pas un groupe à étape. Bien qu’il puisse être considéré comme l’archétype du groupe qui construit (les « Memoria Vetusta », la trilogie officieuse « The Work Which Transforms God » / « MoRT » / « Odinist »), Blut Aus Nord reste en réalité complètement imprévisible et volatil. Chaque pilier posé peut être abandonné là, tandis que chaque album, chaque chanson peut être l’occasion d’un nouveau départ. Il faut voir le groupe comme une succession de branches aux ramifications complexes dont on ne sait jamais à partir de quelle extrémité le tableau continuera de se développer. C’est peut-être aussi cette ambivalence entre structure et non-structure qui rend le groupe si passionnant : on n’arrive jamais à l’attraper, on sait qu’il risque à chaque instant de s’évaporer, de nous filer entre les doigts et de nous priver de nos espoirs. C’est surement pour cela que j’ai besoin de me rattacher à « Sect(s) » comme un album et non comme à la première pierre d’un édifice (alors que le groupe ne cesse de clamer que c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire). Les épitomes sont des composantes d’un ensemble plus grand, mais aussi un abrégé du tout ; au final peut-être qu’on ne pourra s’appuyer que sur elles. Et dans un sens, tant mieux, car jamais Blut Aus Nord n’a été aussi si concis, si efficace, si essentiel que sur ces six morceaux !

Pour ma défense,  à aucun moment « Sect(s) » ne prend les formes d’une œuvre en cours de développement : au contraire, elle est sèche et épurée, vidée de toute fioriture ; elle possède un début et une fin clairement identifiés et développe tous ses thèmes sans laisser un goût d’inaccompli dans la bouche. C’est la quintessence d’un black metal qui se noie plus loin dans la noirceur, en étendant le concept de celle-ci à la part d’ombre qui se loge dans tous les êtres, dans tous les concepts. Les codes du BM se retrouvent ainsi temporisés (ou compromis, selon son rapport au KVLT) et contaminés par l’industriel, le dark ambient, la noise et même le progressif ; le goût pour les cassures et les surprises rapprochant le trio français aussi bien de King Crimson que de Meshuggah (cf « Epitome IV » où les mélodies doivent se battre pour s’immiscer discrètement dans les rythmiques complexes et torturées, le tout pour un des morceaux les plus différenciant de par cette approche industrallo-urbaine de la guitare). Lorsque je disais que Liturgy initialisait la quatrième vague du Black Metal, avec pour hypothèse que Blut Aus Nord régnait sur la troisième, c’est exactement de cela que je parlais. Le premier s’ouvre au monde, tandis que le second ne s’ouvre qu’à la noirceur ; mais pas sûr que la troisième vague ne soit pas celle qui engloutisse le plus de villes.

Au « 666 » du Malin, Blut Aus Nord choisit le « 777 » de la puissance (nombre de l’homme céleste chez les maîtres himalayens) ; sans être une profession de foi, il s’agit d’un signe fort sur ses ambitions. Pas étonnant alors qu’on soit pris dans un tel bourbillon de riffs apocalyptiques et de distorsions sournoises : c’est un disque schizophrène, animé par d’inquiétants spasmes, par des moments d’apaisement malsain et par d’autres d’une violence angoissante. On ne sait même plus quels sont les temps du désespoir, chaque transition ne permettant que d’observer l’autre versant d’une même pièce. Le plus souvent, c’est la même idée, le même riff qui nous pénètre et ne se décline qu’une fois à l’intérieur. Mais ce n’est pas hypnotique, non c’est vicieux.

Vindsval croit en la laideur de ses compositions : il veut en faire quelque-chose de dégueulasse au point d’en être oppressant. Et même lorsqu’il s’imagine laisser une respiration pour mieux prendre en traitre l’auditeur et l’achever, il se retrouve face à un corps déjà asphyxié : qui aura vraiment eu le temps de reprendre son souffle entre la fin de « Epitome 1 » et le début de  « Epitome II » ? De la rapidité agressive à la lenteur étouffante, il n’y aura eu qu’un éclair ; c’est dans cette absence de respiration qu’on sent bien le spectre de Godflesh et de Pitch Shifter (à défaut de toujours le sentir au niveau de l’électronique, Blut Aus Nord restant un groupe à guitare qui n’arrive pas encore à dégager la même violence au niveau des machines, tel un Scorn par exemple).

Avec une cohérence qui permet quel que soit le style abordé d’affirmer sa personnalité, et malgré le côté patchwork des meilleures idées des précédents disques, « Sect(s) » est l’album où Blut Aus Nord remonte en haut de la colline pour mieux se rejeter dans les abîmes, pour chuter différemment, pour expérimenter une nouvelle approche du mal. Ce n’est pas la première fois qu’il se comporte ainsi (c’était déjà le cas avec « The Work Which Transforms God »), mais c’est la première qu’on comprend que ce groupe n’avance pas dans une unique direction : non il fait des boucles, recommence au début ou à mi-chemin, mais, au moment de se laisser tomber dans le vide, il regarde le fond du puits avec la même détermination et la même fraicheur.

Dans l’attente de « The Desanctification » et « Cosmosophy », on cherche à savoir quelle direction prendra la série, quels nouveaux personnages seront développés, quelle intrigue sera au cœur des nouveaux épisodes. Si le final instrumental de « Epitome VI » n’est pas à proprement dit un cliffhanger, on imagine voir dans les éléments dub de « Epitome I » et dans les rythmiques de plus en plus industrielles de premiers indices. Parallèlement à ça, on sait déjà que le projet « 777 » en tant qu’œuvre donnera naissance à une excroissance 777 en tant que groupe : le groupe sera alors le fils bâtard de l’œuvre ; il en portera le nom et le sens, mais pas la famille. Il restera à l’écart du BM et explorera une autre forme de noirceur purement électronique.

Encore une fois, la vision des projets sur le long terme s’oppose à l’habitude de Blut Aus Nord de prendre des décisions sur le tas. Dans la même phrase, Vindsval peut ainsi affirmer qu’il ne croit plus qu’en l’instinct et dans la négation de la pensée, et proposer un projet complexe où il repousse ses propres limites intellectuelles. Et c’est dans la confrontation de ces deux modes de vies que Blut Aus Nord puise sa folie ! L’opposition entre les guitares et les machines devient alors une métaphore de ces ressentis contraires : le spontané face au prémédité, la création dans la lumière face au travail de l’ombre.

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