THE IDES OF MARCH de George Clooney
Sortie le 26 Octobre 2011 / Durée : 1h35min
>> Il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce texte.
Alors qu’ils se rendent en avion d’un meeting à un autre, le conseiller Stephen Myers (Ryan Gosling) affirme au gouverneur Mike Morris (George Clooney) que, contrairement à son mentor Paul Zara, il a besoin de croire en son candidat et que derrière son travail se cache avant tout un combat idéologique. On s’imagine alors que « The Ides of March » traitera de la destinée d’un jeune cadre politique dont les illusions seront dissipées au fur et à mesure des coups tordus du candidat qu’il supporte. On pense alors à The Wire et la manière dont le maire Tommy Carcetti va peu à peu décevoir son bras droit Norman Wilson. Pourtant très vite, le film inverse la tendance : la compromission ne se trouve pas forcément au plus haut point de la pyramide ! Au contraire, il s’agit plus de montrer que ce sont les fondations qui sont gangrenées ! A ce niveau, les arrangements pris par Mike Morris sont une conséquence de problématiques personnelles, et non une accommodation circonstancielle de son idéologie (il refuse d’ailleurs initialement, d’un point de vue politique, d’ouvrir la porte au sénateur Thompson, même si cela doit lui couter la victoire).
C’est là que se trouve le sens de ce quatrième long métrage de George Clooney : le compromis est au cœur de tout. L’enrobage est en soit assez lisse : il s’agit d’un film classique et sans âge, qui s’inscrit classieusement dans la tradition américaine ,où l’impression de déjà-vu qui rode autour de certaines scènes (l’effet « Primary Colors » et « The West Wing ») sert avant tout à aligner le film avec un certain patrimoine, comme s’il s’agissait d’un film de genre. Les sujets centraux sont soigneusement évités : on ne parle que très superficiellement de politique (les débats récurrents comme la peine de mort et l’avortement font une brève apparition), on se détourne du fond des problématiques sociales et on agit comme si l’argent n’était pas au cœur des campagnes. Une mollesse se développe alors dans le propos, comme si « The Ides of March » n’était porté par aucun combat, par aucune prise de position ; les paroisses perdent de leur sens et on aurait vite fait de se désintéresser de ces duels sans enjeux. Et pour cause ! L’intérêt du film ne se situe pas à ce niveau ! Ce n’est ni un film sur la politique, ni un film sur le pouvoir (la traduction française du titre « Les marches du pouvoir », non contente d’aseptiser toute la symbolique portée par le titre originel, est ainsi à la limite du contresens), mais bien un film focalisé sur les compromissions (que celles-ci nous permettent d’asseoir nos ambitions ou qu’elles fassent partie du jeu politique – ; Stephen Myers s’épanouit ainsi dans l’ombre où l’on tire les ficelles, tandis que Mike Morris ne se complait que dans les symboles et dans la lumière des médias).
La compromission est la conséquence de cet égo qui va nous pousser à mettre le doigt dans l’engrenage : on pense être le meilleur et, dès lors, on sera prêt à tout pour prouver que l’on avait raison. Mais « être le meilleur » est ici une question d’image et non de fond. La compromission est alors un poison qui nous ronge de l’intérieur. Au moment même où Stephen Myers accepte de rencontrer l’ennemi et que son inconscient lui suggère que son génie attire les regards, il est déjà perdu. A partir de cette scène, ses engagements, ses convictions, mais aussi ses capacités d’analyse s’effondreront. Il faut voir comme il a l’air pathétique lorsque, d’un ton hautain, il dit à la stagiaire Molly Stearns que c’est un milieu où on n’a pas le droit à l’erreur, où il faut être exemplaire, tout cela sans réaliser qu’il est lui-même celui qui a trahi, celui qui n’a pas été honnête avec ses certitudes, celui qui a fait l’erreur. Il devient alors un pantin pathétique que seule une course en avant dans la compromission pourra sauver.
Le contexte politique devient alors un simple terrain de jeu. George Clooney, démocrate convaincu, mais déçu d’Obama, ne cherche pas à raviver un débat contre les républicains, et préfère traiter son sujet dans son camp, afin de ne pas déporter le débat sur l’idéologie. La mise en scène souligne également, par les jeux de lumière, cette volonté de ne pas s’attacher aux discours de la politique, mais aux cas de conscience qui se jouent entre les protagonistes dans les coulisses. Le film démarre sur le théâtre des discours pour finir dans l’arrière cuisine du bar, là où l’on crée les recettes et où l’on découpe les aliments. Les jeux sur les contrechamps soulignent les rapports de force de dominés à dominants, et on sent à chaque instant que l’équilibre est fébrile ; définitivement les personnages intéressent plus le réalisateur que les mécanismes généraux des primaires. La compromission est à la porte de chacun. Et même si les cyniques font mine d’en jouer, ils en subissent également les conséquences (le mal être de Tom Duffy).
Le titre « The Ides of March », qui renvoit à l’assassinat d’un Jules César qui n’avait pas su tenir compte des prédictions, ne renvoie pas à la mort, mais bien à la compromission de Stephen Myers, un homme qui se croyait droit et au-dessus des tentations, un homme qui n’a pas su écouter les avertissements de ses mentors et qui, tout en arrivant à ses fins, deviendra le type d’homme qu’il détestait. Car là est le paradoxe de la compromission : cette dernière ouvre plus de portes qu’elle n’en ferme ! Elle pousse à la réussite, ne laissant derrière que la question de l’image de soi ! Indépendamment des conséquences, quelles convictions sommes-nous prêts à sacrifier pour atteindre nos objectifs ? Chaque miroir reflète alors une image différente.
Malgré une très belle direction d’acteur, Ryan Gosling s’avère tout aussi opaque que dans « Drive » dont il reprend ce personnage qui, abandonnant ses rêves, va révéler une face beaucoup plus sombre, comme si la pureté de ceux-ci étaient la seule chose qui le maintenait dans le bien. On sentirait presque le conflit de génération entre le jeu généreux de George Clooney et la manière de Ryan Gosling de tout prendre tellement au sérieux. « The Ides of March » pourrait alors devenir une parabole de la position de George Clooney au sein de l’industrie cinématographique : un homme qui pour gravir les échelons et avoir les moyens de se consacrer à ses projets aura dû accepter la compromission (« Batman et Robin », « Le Pacificateur », « En pleine tempête », ses rôles publicitaires…). Il illustrerait ses propres fêlures et peut-être même ses regrets. Le choix de Ryan Gosling serait alors sa dernière concession au pouvoir. De la même manière que le gouverneur Mike Morris est obligé, pour aller au bout de ses ambitions, de se plier aux revendications de Stephen Myer et de le prendre comme directeur de campagne, George Clooney, lui, se retrouverait forcé de prendre sous sa coupe le jeune Ryan Gosling, étoile montante qui garantira à son œuvre une caution glamour. Cette lecture, qui déforme évidement la réalité des faits, fait néanmoins résonner étrangement ce qui pourrait être, une fois de plus, une confession d’auteur.