C’est l’histoire d’un mec, Sylvain Tesson, qui décide de vivre une expérience d’ermite avant ses 40 ans. Se retirer de la civilisation, fuir les contraintes sociales et les gesticulations qui accompagnent la sortie du nouvel Iphone. Il va même par voie de conséquence louper la dernière saison en date de Dr House et la fin de la Ligue des Champions. Il devrait avoir bien les boules… mais non. Parce qu’il est comme ça, Sylvain, la vie moderne le gonfle un peu.
Il choisit une région qu’il a déjà traversée lors de ses pérégrinations d’écrivain-voyageur et se fixe donc sur un coin qui attire peu les yachts de pop-stars ni même le vacancier allemand : le lac Baïkal, au Sud de la Sibérie. Avec neige à haut débit.
Le Lac Baïkal, c’est on ne peut plus rustique. On a même coutume de dire que « c’est beau, mais c’est chiant ». A noter que l’endroit est également (peu) fréquenté par des Russes rustres qui ne sont pas les derniers à boire des coups en regardant au loin, le regard hagard et la pensée fugace. On a envie de dire à Sylvain : excellent choix, tu vas bien te faire ch… et pouvoir faire connaissance avec ton toi intérieur. En même temps, c’est un peu l’objectif…
Car Sylvain Tesson va relater cette expérience de vie via un journal qui fait aujourd’hui l’objet de ce livre à grand succès. Chaque jour, notre ermite va noter ses impressions, ses pensées, ses activités quotidiennes, en enfilant les aphorismes et les verres de vodka glacées (sans avoir besoin du moindre frigo à froid ventilé tant le climat est rude). Accessoirement, Sylvain Tesson poétise abondamment, ému par la beauté simple et austère des paysages et animaux qui lui tiennent lieu de compagnons, et pas peu fier de son expérience.
« Dans le hamac, j’étudie la forme des nuages. La contemplation, c’est le mot que les gens malins donnent à la paresse pour la justifier aux yeux des sourcilleux qui veillent à ce que « chacun trouve sa place dans la société active ». »
Surtout (et parce qu’il n’a quand même rien d’autre à foutre), il va profiter de cette robinsonnade pour faire un point sur sa vie et LA vie en général. Depuis son point de chute, Sylvain semble heureux, sans contraintes autres que celles qui consistent à occuper son corps (balades de 20 km, coupe de bois, patinage artistique..), remplir son estomac, lire des bouquins et regarder le panorama. Sylvain Tesson se place en retrait du monde et jouit du bonheur d’être détaché de tout matérialisme.
« Rien ne me manque de ma vie d’avant. Cette évidence me traverse alors que j’étale du miel sur mes blinis. »
(je me permets de couper cette citation extraite de la page 176 : sur ce coup-là, c’est un peu Philippe Delerm au pays des Soviets dans « La première bouchée de blinis »… Mais cessons de faire le malin et reprenons…)
« Rien. Ni mes biens, ni les miens. Cette idée n’est pas rassurante. Quitte-t-on si facilement les habits ajustés de ses 38 ans de vie ? On dispose de tout ce qu’il faut lorsqu’on organise sa vie autour de l’idée de ne rien posséder. »
Dans les forêts de Sibérie constitue pour Sylvain Tesson la preuve qu’il se donne à lui-même que ses nourritures spirituelles le satisfont plus grandement que tout le jeu social et matériel de cette vie urbaine qui l’oppresse tant. Sa démonstration est assez efficace et l’on ressort de la lecture de ce texte avec la confirmation que le monde moderne n’est qu’un parc d’attractions où les mieux lotis cherchent les animations les plus efficaces pour occuper le temps qui passe.
Et donc ? Est-il vraiment besoin de fuir à ce point la modernité pour prouver la supériorité de l’esprit sur le matériel ? Ne peut-on pas arriver aux mêmes conclusions sans pour autant adopter un tel radicalisme dans son choix de vie, aussi temporaire soit-il ? Et pourquoi pêcher soi-même des ombles dans le trou d’un lac gelé plutôt que de faire confiance à une aimable poissonnière ?
Il traîne chez Sylvain Tesson un fond de misanthropie qui le pousse à la fuite et l’aide à supporter la difficile épreuve du froid et de l’isolement. Le détachement, l’expérience d’ermitage aident assurément à mettre sa propre vie en perspective mais il est difficile pour le lecteur d’envier l’auteur, malgré tous ses efforts pour nous convaincre de la justesse de sa perspective. Si ce n’est dans l’idée – et seulement l’idée – d’un dénuement révélateur.
Le fin mot de cette histoire ? Sylvain Tesson revient de son séjour d’homme des bois et va affronter le monde en lui livrant Dans les forêts de Sibérie. L’acte d’isolement est suivi d’un acte immensément social, la sous-exposition au monde succédant ironiquement à la sur-exposition due au succès de son livre. Etrange besoin de partage, finalement… Qu’aura-t-il vraiment fui, au juste ?
Le récit de Sylvain Tesson fait dans une certaine mesure l’effet que peuvent produire certains urbains lorsqu’ils annoncent fièrement leur départ à la campagne car « non, vraiment, on n’en peut plus de la ville… Et puis pour les enfants, c’est mieux… Le grand air, le calme…». L’idée est séduisante mais, en Sibérie ou ailleurs, pour combien de temps ?