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VCMG – Ssss

Par Jean-Sébastien Zanchi, le 14-03-2012
Musique

Vingt ans que je n’ai pas mis les pieds dans un club. Je ne comprends toujours pas pourquoi je me trouve ici ce soir-là, mais me voilà dans ce sous-sol un peu crado. L’odeur de sueur est bien présente, mais pas déplaisante pour autant. Elle dégage cette animalité nécessaire à ce genre d’endroit. Je n’ai jamais trop aimé les odeurs de propre, j’ai toujours préféré sentir un corps tel qu’il est, comme si la nature nous parlait directement à un autre niveau de conscience. Ce soir, c’est l’instinct qui parle, rien d’autre. La chasse est ouverte ; les proies sont jeunes, le chasseur expérimenté.

Désormais, je n’écoute de la techno que chez moi, largué par les nouveautés qui s’accumulent et à côté desquelles je passe systématiquement. Quelques vieux vinyles trainés de chez mes parents, quelques DJ sets écoutés en boucle et dont je connais les enchaînements par coeur. Cette musique alors à l’avant-garde et constamment en mouvement n’est désormais pour moi plus qu’une vague nostalgie immobile de mes quinze ans.

Pourtant ce soir, j’accompagne quelques collègues de boulot au pot de départ de l’un des nôtres. De verre en verre, me voilà embarqué dans cet endroit dont je n’ai jamais entendu parler et que je ne pourrais jamais retrouver sur la carte de la ville. Je m’y sens tout de suite chez moi : le son n’a pas changé, cette trance anglaise un peu cheesy que les années 90 chérissaient avant que la french touch ne balaye tout. Le DJ me dit que ce sont deux vieilles gloires des 80s qui ont produit ce morceau, elles aussi semblent nostalgiques d’une époque.

Vieux synthés et boites à rythmes, vieilles ficelles rythmiques, mais très jeunes filles au milieu des enceintes. Le contraste est saisissant. Elles se dandinent finalement exactement sur le même son que moi à leur âge. Le conservatisme de ces nouvelles générations m’étonnera toujours. Alors que nous voulions tout changer, les ados ont désormais au contraire peur de tout perdre.

Au milieu d’elles je me sens dépassé au premier abord, mais je me dis que je suis certainement moins largué que je ne le crois. Une bonne partie de ma vie étant derrière moi et ayant forcément plus confiance en moi qu’à dix-huit ans, tout semble possible ce soir. Comme l’impression que j’ai bien plus de valeur que n’importe quel jeunot désirant ces filles pourtant autant que moi ; comme l’impression que j’ai beaucoup à leur apprendre ; comme l’impression aussi que je me transforme en pervers et que je ne suis vraiment pas à ma place. En tout cas, c’est comme ça qu’elles doivent me percevoir.

Je les vois se parler au creux de l’oreille en regardant vers moi. À mon âge, je ne suis déjà pour elles rien d’autre qu’un crouton de pain rassis abandonné au bord d’une table depuis des jours. Je ne peux que les comprendre, qu’est-ce qu’un mec comme moi fait ici ? Quelle idée de sortir encore en club en pleine semaine alors que l’on s’approche aussi dangereusement de la quarantaine ! Aucun doute qu’elles doivent s’imaginer leur père dans ma situation. Un regard en coin vers moi, elles pouffent, ça m’irrite.

À leur âge je n’arrivais plus à faire de choix. Je sortais beaucoup, je rencontrais beaucoup de filles ; plutôt agréable de se dire que l’on disposait de multiples possibilités. J’hésitais beaucoup, toujours. Quelle que soit la situation, j’avais du mal à me décider. Plus les filles étaient jolies autour de moi, moins je savais où donner de la tête. Depuis des mois, ces mêmes filles de vingt ans sont devenues une réelle obsession. Cette manière candide d’aborder la vie, cette absence totale de marques qui trahissent la souffrance des années, cette façon d’aborder chaque situation, vierge de toute expérience. La fraicheur s’oublie progressivement, mais vous rattrape cruellement lorsque l’on y goute à nouveau.

J’ai trente ans passés et je me trouve à un carrefour de ma vie. Continuer à enchainer les relations d’un soir avec ces gamines ou passer à la vitesse supérieure : l’engagement. Alors qu’il suffit de se laisser aller dans les bras de la jeunesse insouciante, tout nous ramène vers quelqu’un avec qui l’on voudrait soi-disant passer sa vie. Encore une illusion bercée par notre enfance passée au sein d’un couple que l’on croyait infaillible. On découvre plus tard toutes les hypocrisies qu’il cachait.

On préfère se jeter corps et âme dans une relation sans lendemain. Une relation où le corps de l’autre vous rappelle comment étaient les femmes (que l’on appelait pas encore ainsi) quand vous étiez vierge. Où cet autre corps brule d’impatience de profiter de votre savoir-faire en la matière. Où la découverte est encore la règle. Où la surprise fonctionne toujours. Tout faire en sorte pour ne pas vieillir, pour ne pas se sentir seul.

Puis le lendemain, ma gueule de bois et moi tombons sur ce disque passé la veille par le DJ : VCMG, Vince Clarke et Martin Gore. Des années donc que je n’avais rien écouté de nouveau, tournant en rond dans mon adolescence. Je prends comme un signe le fait que le premier disque que j’écoute depuis des années soit produit par ceux que j’écoutais il y a si longtemps. Fébrile, je comprends dès les premières notes qu’enfin je ne suis plus le seul à me morfondre dans cette nostalgie. Qu’eux aussi ont besoin de lâcher leur quête perpétuelle de nouveauté pour retrouver ce son complètement issu des années 90 ; même si cela ne les avance artistiquement à rien. À eux la musique, à moi la jeunesse éternelle.