Un des paradoxes de notre époque où il n’a jamais été aussi facile de diffuser de la musique est qu’il peut se passer un grand intervalle entre les publications des artistes. Certains cependant profitent de ce système pour être plus productifs que jamais. Evidemment, pour ne pas que l’intérêt se dilue, il faut que le talent soit là . La quantité et la qualité n’ont jamais fait défaut à  Spencer Krug. Que ce soit avec Wolf Parade, Sunset Rubdown, Swan Lake ou Moonface, on n’a jamais été déçu, avec quelques très bonnes surprises à la clé.
Sorti l’an passé dans une discrétion assez étrange, le premier album de Moonface montrait encore une autre facette du talent du Montréalais d’adoption. En 5 morceaux parfois complaisants mais toujours amples, il profitait de sa liberté pour nous donner un des meilleurs morceaux de 2011 (Song Instead of a Kiss). Première constatation, il y a deux fois plus de morceaux ici. Et, surprise, on ne retrouve pas nécessairement le panache fou de ses exercices précédents, mais une profondeur noire qui m’a plu dès la première écoute.
Même on sait qu’il y a une base à tout ce que fait Spencer Krug. Une façon de chanter, de donner la pulsation par le clavier. Pas d’envolée ici, pas de délires étirés, mais il arrive à greffer un supplément d’âme à presque tous les morceaux. Moonface semblait au début un entrainement, un terrain d’expérimentation. Tout comme Sunset Rubdown, le projet solo s’est mué en collaboration fructueuse.
Bâti sur les cendres encore chaudes de Joensuu 1685 qui avait tourné avec Wolf Parade, Siinai est une formation d’Helsinki qu’on a parfois qualifié de ‘progressive kraut rock’. Si vous ajoutez à cette propension à la construction patiente de boucles le goût direct de Krug, il y a un risque de ne pas aller dans la même direction. Mais cette crainte s’estompe vite. On le sent dès Yesterday’s Fire(véritable début de l’album après une intro plus terne) et dans le prolongement Shitty City qui sort ses beats pour plus de puissance. Il en résultera plus tard de l’intensité sur le très direct I’m Not The Phoenix Yet ou la magnifique fin crépusculaire de Lay Your Cheek On Down. Un grand moment de lourdeur (dans l’acception positive du terme), lancinant et dense comme un boding. On se rappelle alors qu’on avait fondu il y a 7 ans pour Same Ghost Every Night, pour des raisons de résonance similaires, pour cette vibration qui se superpose à la nôtre.
Spencer Krug a toujours eu le chic de bien s’entourer. Il est allé jusqu’en Finlande pour trouver des compagnons de jeu pour un exercice libre sur les peines de cœur. Les partenaires se complètent bien, et conjuguent noirceur et fougue. Ne perdons jamais Spencer de vue.