L’idée nous trottait dans la tête depuis plusieurs mois et nous venons enfin de franchir le pas : l’intégralité des commentaires a été supprimée et il n’est désormais plus possible de commenter sur Playlist Society ! Cette décision s’inscrit dans la lignée de la suppression des notes qui est intervenue il y a quelques semaines et correspond à notre souhait de voir Playlist Society refléter, au mieux, nos convictions actuelles. Bien qu’il ne s’agisse nullement d’une idée novatrice – de nombreux sites, comme par exemple L’Oreille Absolue, Millefeuille, Pinkushion ou encore Revue Zinzolin et Critikat ont depuis longtemps un avis tranché sur la question –, nous avons décidé, une fois n’est pas coutume, d’expliciter notre choix en s’attardant sur un sujet qui s’éloigne de notre ligne éditoriale habituelle. Ce texte est cosigné par l’ensemble de la rédaction de Playlist Society.
Quel pourcentage de commentaires pertinents ?
L’apparition des commentaires sur Internet s’est fondée sur une double utopie : d’un côté l’idée que les commentateurs seraient à même d’apporter leur intelligence pour accroitre la pertinence des articles, de l’autre la perspective que les auteurs y seraient réceptifs. On s’imaginait un monde où auteurs et commentateurs travailleraient dans le but commun de fournir un contenu de qualité. Mais, quelques années plus tard, le constat est amer : la perspective d’un cercle vertueux fondé sur les valeurs de partage et d’échange ne s’est que trop rarement concrétisée.
Les commentaires ont bien inondé l’internet, mais pour quel résultat ? Apportent-t-ils une réelle plus-value ou tout cela n’était-il pas qu’une douce utopie ? Pour y voir plus clair, nous avons catégorisé les commentaires que l’on peut retrouver sur les blogs en 5 grandes familles :
– Les commentaires de connivence : le commentateur possède une sensibilité particulière au sujet et souhaite le notifier. On y croise beaucoup de « j’étais également au courant » et de « moi aussi, je m’intéresse à la question ». Parfois l’ensemble prend la forme de compliments : soucieux de manifester son enthousiasme et d’encourager, le commentateur remercie l’auteur pour son article. Par la suite, l’auteur, bien élevé, poli, flatté et soucieux d’encourager son lectorat à laisser de tels commentaires remercie en retour le commentateur pour sa gentillesse.
– Les commentaires « avis » : Le commentateur donne son avis sur le sujet indépendamment de l’article qu’il n’a parfois même pas lu. On y retrouve du « c’est génial » et du « c’est nul », parfois un peu plus, le tout dans un esprit proche des avis qu’on peut retrouver sous les fiches produits des sites marchands.
– Les commentaires hors sujet : Le commentateur profite de l’espace qui lui est offert dans les commentaires pour faire des blagues ou pour parler de tout autre chose. On y retrouve du lol en tout genre parce que faire rire est souvent plus important que le fond des articles. S’il connait l’auteur, le commentaire pourra rapidement prendre la forme d’un « on se voit toujours demain pour le café ? ».
– Les commentaires non constructifs : Dans cette catégorie on retrouvera évidemment les trolls classiques, mais aussi les donneurs de leçon, les « je suis spécialiste du sujet et je vais souligner la non exhaustivité de ton texte pour montrer que moi je sais » ou plus globalement tous ceux qui, en désaccord avec l’article, préfèrent balancer une vanne, ou pire un jugement de valeur, plutôt que d’argumenter et, le cas échéant, amener l’auteur à réparer son erreur, affiner et peut-être même s’améliorer.
– Les commentaires pertinents : On peut les diviser en trois types : les commentaires de signalement où le commentateur signale poliment une coquille, une erreur, une approximation, afin de permettre à l’auteur de la corriger ; les commentaires de questionnement où le commentateur demande à l’auteur d’approfondir un point, de préciser son point de vue ou souhaite profiter de son expertise ; les commentaires de mise en perspective où le commentateur maitrise le sujet et souhaite apporter sa contribution à l’article soit en critiquant l’article via une analyse construite, soit en élargissant le spectre de celui-ci au travers d’informations complémentaires et de renvoi vers d’autres articles.
Cette décomposition n’est pas là pour stigmatiser le commentateur et encore moins pour souligner une éventuelle médiocrité du lectorat des sites Internet. Premièrement, cette catégorisation s’inspire avant tout de nos propres commentaires (ceux que nous laissons nous-même sur Playlist Society, mais aussi ceux que nous laissons sur d’autres sites). Deuxièmement, il ne s’agit nullement d’un procès à charge : tous ces types de commentaires sont juste très humains, dans le bon et dans le mauvais sens du terme. La question est souhaitons-nous in fine que les commentaires de nos sites reflètent l’humain, ou y préférons-nous une information plus formalisée ?
Sur ces 5 typologies de commentaires, les 4 premières n’apportent rien. Qu’elles flattent l’égo de l’auteur ou le blessent, elles ne génèrent pas de contenu pertinent pour le lecteur. Seule la dernière correspond aux commentaires tels qu’on en avait tous rêvé. Pourquoi la plus-value des commentaires était-elle utopique ? Parce que ses valeurs en matière de partage et de co-construction de l’information ne concernent au fond qu’une des cinq typologies de commentaires existantes ! Qui plus est, quel est le poids réel des commentaires pertinents sur la masse totale de commentaires ?
Même si l’exercice a ses limites et que Playlist Society n’est surement pas le site le plus représentatif en matière de commentaires, nous avons réalisé une étude sur les 200 derniers commentaires postés sur le site afin d’évaluer la pertinence de les conserver ; l’idée était que s’il s’avérait que la dernière catégorie représentait un pourcentage non négligeable du total des commentaires, cela valait le coup de les conserver.
En sachant qu’il faut écarter les commentaires non représentatifs (exemple : les 50 commentaires qui font suite à un article volontairement provocateur) et qu’il y a quelques commentaires (une dizaine) qu’il n’a pas été possible de rattacher à une catégorie (ceux qui étaient trop transverses), voici les résultats :
- 35% de commentaires de connivence
- 31% de commentaires « avis »
- 17% de commentaires hors sujet
- 08% de commentaires non constructifs
- 09% de commentaires pertinents
On constate alors bien que les commentaires jugés pertinents représentent moins de 10% de la masse globale (et encore on pourrait s’interroger au cas par cas de leur indispensabilité).
Si, contrairement à ce qu’on pensait avant de faire l’étude, les commentaires non constructifs ne représentent finalement qu’une toute partie de l’ensemble, le ventre mou (les des deux tiers) est bien occupé par les commentaires « avis » et de connivence.
Peut-on à partir de là déduire que l’objectif de capturer l’intelligence de l’audience a échoué ? C’est à chacun de le déterminer en fonction du pourcentage de commentaires dit pertinents qu’il juge raisonnable. En tout cas, ce rapide exercice nous a permis d’y voir plus clair et de s’appuyer sur des éléments concrets pour prendre notre décision.
Les auteurs, premiers responsables
Une fois ce constat réalisé, il est important de ne pas jeter la pierre aux lecteurs. A un moment ou un autre, ce sont les auteurs des textes et articles qui sont responsables de cette situation.
Tout d’abord, une bonne partie des commentaires inutiles sont générés par les auteurs eux-mêmes, soit parce qu’ils répondent basiquement aux questions, soit parce qu’ils bottent en touche, soit parce qu’ils rentrent dans le jeu d’un troll, soit parce qu’ils veulent chouchouter leur lectorat à coup de merci répétés (encore une fois, on parle beaucoup de nous-même ici). Deuxièmement, ils reflètent parfois l’incapacité de l’auteur à s’impliquer dans la conversation qu’il a générée et à susciter chez le lecteur des remarques intéressantes.
Peut-être que si l’auteur avait le temps de retravailler ses textes en fonction des retours les plus justes et devenait le chef d’orchestre d’articles co-construits avec les lecteurs, le niveau des commentaires se trouveraient plus élevés. Mais là on parle déjà d’un autre modèle complètement différent…
Pourquoi supprimer les commentaires ?
La question que l’on peut se poser, après avoir identifié que 90% des commentaires étaient inutiles, est pourquoi les supprimer ? C’est vrai, après tout, utiles ou inutiles, ils ne font pas de mal ! Ils attendent juste là sagement sous les articles que quelqu’un veuille bien scroller suffisamment. Pourquoi dans ce cas se priver de l’espace d’expression qu’ils représentent et couper court aux 10% de commentaires restant potentiellement intéressants ?
La réponse tient en un mot : le bruit. Ce bruit permanent qui gronde sans arrêt et qui encombre un peu plus chaque jour le web.
Un bruit qui fatigue : c’est un brouhaha incessant qui parasite l’information, un bruit qui arrive de partout et qui, lorsqu’on cherche à l’occulter, laisse le sentiment que nous ne sommes pas allés au plus profond des choses (puisque nous n’avons pas lu les avis de tous les lecteurs concernés).
Un bruit qui détourne l’attention : souvent plus importants en nombre et en caractère que les articles, les commentaires noient l’essentiel. Combien de fois nous retrouvons-nous dans cette situation où le débat stérile qui prend place dans les commentaires attire plus notre œil que l’article lui-même ? Aux réflexions à froid, nous préférons les réflexions à chaud, et alors, sans même nous en rendre compte, nous nous retrouvons à répondre à la volée au commentaire du dessus, sans même avoir pris la peine de prendre connaissance du sujet.
Un bruit qui brule inutilement le temps : tout ce temps investi dans les commentaires, et pour quelle finalité ? Entre celui qui écrit son commentaires, les autres lecteurs qui le lisent, l’auteur qui se gratte la tête pour savoir s’il va ou non répondre, l’auteur qui répond, les autres commentateurs qui reçoivent une notification par mail, les lecteurs qui reviennent… un temps précieux est consommé. Chacun dispose de son temps, comme il le souhaite, mais nous devons réfléchir à si nous voulons ou non participer à ça.
Les textes autosuffisants n’existent pas et l’on peut toujours améliorer ses articles. Néanmoins derrière chaque texte il devrait y avoir la question suivante : est-ce que ma matière première apporte quelque-chose, que ce soit d’un point de vue réflexion, émotion, sincérité ou autre, qui mérite d’encombrer encore un peu plus le web ? Il y aura bien sûr selon les personnes des réponses différentes à cette question, et même si la réponse est négative, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas publier (chacun a bien le droit de s’exprimer), mais se poser cette question, quelque-soit la réponse finale, est vertueuse. Le texte ainsi conçu pourra ensuite s’améliorer en fonction des retours des lecteurs, mais ces retours n’auront nullement besoin de se faire au travers des commentaires.
Des commentaires qui persistent pourtant
Malgré ces réflexions, qui enfoncent pourtant quelques portes ouvertes, la présence de commentaires reste la norme. La première raison est surement qu’il y a des centaines d’exemples de sites / blogs où les commentaires jouent encore un rôle pertinent et indispensable ; ce n’est pas parce que les commentaires n’ont pas fonctionné chez nous comme nous l’espérions, qu’il en va de même partout. Mais, mis à part, les cas où le système d’échange fonctionne parfaitement, on peut supposer qu’il y a deux principaux remparts qui protègent les commentaires de la disparition :
– L’utopie : Nombreux sont ceux qui croient encore aux notions de partages, de co-construction et d’échange ; et dans un sens, ils ont bien raison, tant ce sont des valeurs qui doivent animer toute personne qui écrit sur Internet (d’autant plus lorsqu’elle le fait gratuitement).
– L’argent et l’influence : Les commentaires génèrent du trafic. Les commentateurs viennent et reviennent, génèrent du buzz, relaient plus aisément les articles, et accroissent significativement le nombre de pages vues des sites (et donc leur poids). La stratégie du « user generated content » fait effectivement les beaux jours des médias financés par la publicité. Les supprimer équivaut souvent à se couper l’herbe sous le pied.
Mais quid des blogs qui ne sont pas soumis aux questions financières ? N’est-il pas étonnant de ne pas voir un nombre plus important d’entre eux franchir le pas ? Ce qui est ironique, c’est que ce sont les blogs qui ont été les apôtres des commentaires avant que tous les médias ne s’engouffrent dans l’eldorado promis par ces derniers, et qu’aujourd’hui ce sera probablement aux blogs de démontrer pourquoi il faudra demain en sortir.
D’autres moyens d’échanger, vers une rationalisation des canaux
Echanger et être en mesure de recevoir des retours constituent toujours un prérequis de l’écriture sur Internet. Les textes ne sont jamais finalisés – ils peuvent contenir des coquilles et des erreurs, ils peuvent être incomplets où rapidement obsolètes – et il serait absurde de ne pas profiter de l’opportunité des échanges pour les améliorer ; qu’il s’agisse de modifications de fond ou du simple ajout d’un lien en référence.
A l’instant T, nous avons décidé de centraliser les échanges autour de quatre canaux : 2 canaux privés (les mails et les rencontres IRL) et 2 canaux publics (Twitter et Facebook).
L’expérience de Playlist Society tout au long de l’année passée nous a rappelé combien les mails privés restaient souvent le moyen le plus simple d’échanger facilement et sereinement dans un but d’améliorer le contenu. Loin des foules et de la question de l’image, il est aisé de creuser un sujet, de notifier des erreurs et de parler franchement sans être pour autant qualifié de trolls ou accusé d’essayer d’attirer l’attention. Sans rentrer dans les détails, nous avons quelques beaux exemples d’échange avec des lecteurs par mail qui ont généré des discussions passionnantes et parfois plus. Ce plus, ça peut aussi être des rencontres IRL. On l’oublie souvent (et c’est certes un brin démagogique de le rappeler) mais les rencontres IRL restent le moyen le plus facile pour échanger sur un sujet qui nous intéresse vraiment. Se retrouver autour d’une bière, c’est souvent bien plus simple qu’on ne le pense.
Concernant Twitter et Facebook, c’est à la fois le choix de la raison et une manière de baisser les bras face à deux plateformes devenues trop imposantes pour nous. Au lancement de la V2 de Playlist Society, nous nous disions qu’il fallait ramener les commentaires sur les sites et contrer cette décorrélation des commentaires par rapport aux textes auxquels ils font références. Clairement une quinzaine de mois plus tard, nous voyons bien à tous les niveaux qu’il s’agissait d’un vœu pieu. Twitter et Facebook ont gagné la bataille et c’est rendre service à tout le monde aujourd’hui de réduire les points de contact afin de mieux canaliser le flux. Qui plus est Twitter possède cet avantage de proposer un rapport horizontal : auteurs et lecteurs sont sur un pied d’égalité où les arguments du type « t’es sur mon site et je ne tolère pas les gens qui mettent les pieds sur la table » n’ont plus lieu d’être.
Ainsi, chaque texte indiquera dorénavant un lien vers le compte Twitter de l’auteur. Néanmoins, nous ne considérons nullement cela comme une victoire, ni même comme une avancée. Il ne s’agit pas de se gargariser d’être en phase avec les nouveaux moyens de communication. Effectivement, à leur manière Twitter et Facebook restent aussi des outils qui nivèlent l’échange vers le bas (les 140 caractères d’un côté, la culture du Like de l’autre). Disons alors qu’il s’agit ici plus d’un moindre mal : nous allons tenter l’expérience, sans être pour autant convaincu du résultat.
La fin des commentaires induit-elle la fin du blog ?
On se souvient de cette question qui revenait sans cesse : quelle est la différence entre un blog et un site ? A celle-ci, on répondait souvent que le blog se définissait par ces trois notions :
– Une structure chronologique des billets
– Un ton personnel qui donne toute sa place au « je »
– Un système de commentaire favorisant les interactions (incluant la notion de blogosphère)
Qu’en est-il maintenant ? La structure chronologique des billets est devenue la norme ; le ton personnel, différenciant à l’époque, s’est répandu ; les commentaires ont été intégrés par quasiment tous les médias au détriment des forums. Le format blog, dans un sens, n’offre déjà plus aucune spécificité. Si demain, il franchit le pas de la suppression des commentaires, nous nous retrouverons dans une situation paradoxale où les blogs d’aujourd’hui ressembleront plus aux sites d’hier, tandis que l’inverse se produira pour les sites d’informations qui, eux, répondent dorénavant souvent à toutes les définitions du blog d’hier.
Peut-on alors parler d’une fin proche des blogs ? Peut-être pas, peut-être que le terme continuera de vivre pour caractériser l’emploi du « je ». En revanche il devient difficile de se retrouver dans le terme blogueur. Nous ne sommes plus des blogueurs, nous ne sommes pas des journalistes, nous ne sommes pas des auteurs (au sens littéraire). Si l’on devait choisir un terme pour nous qualifier, peut-être emploierions-nous celui de contributeurs (comme sur Wikipedia). Le net est devenu la plus grande source d’information du monde et nous essayons d’apporter notre petite pierre à l’édifice, avec non plus l’idée d’affirmer notre personnalité et de mettre le « je » au centre du débat, mais avec la volonté de participer à cette grande chose qui nous dépasse un peu tous.
Cet article reste tronqué par la nature même de Playlist Society et son positionnement culturel. La réflexion serait probablement un peu différente pour des sites politiques et sociétés. Qui plus est, il y aurait de nombreux autres points à aborder comme les ratios lecteurs/commentateurs ou la diminution croissante de la volumétrie de commentaires sur les blogs. Enfin nous avons bien conscience qu’ironiquement c’est le jour où nous publions l’article qui serait le plus propice à un échange par commentaires que nous décidons de les fermer. En espérant que vous comprendrez notre décision et en restant à votre disposition pour échanger via les autres canaux disponibles.
On profite également de l’occasion pour remercier et saluer tous ceux avec qui, indépendamment de ce qui a été écrit plus haut, nous avons toujours pris beaucoup de plaisir à échanger au travers des commentaires. Une pensée particulière pour : Alex, Benoit, Boebis, Burzinski, B2B, Calvin, Cawion, Dat’, DefJukie, Didier, Erwan, Francky, Gwendal, Joris, Kronem, Loulouille, Matador, Mmarsupilami, Mr. Pat, Paf, Pannouf, Pol, Regcontrelamachine, Ska, Sylvain, Systool, Thibault, Thierry, Thomas, Twist, Tyndare, Vincent, Xavier, Yoan S…