Batman : The Dark Knight Rises, une conclusion aussi logique qu’inattendue
Un film de Christopher Nolan. Sortie en salle le 25 juillet. Durée : 2h44min
>> Il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce texte.
La conclusion promettait d’être épique. Or, le dernier épisode de la trilogie Batman par Christopher Nolan risque d’en décevoir plus d’un. Dommage, c’est un grand film, mais pas là où l’on attend. L’espace d’une séquence initiale, on se croit en terrain connu. Un avion, un assaut spectaculaire et voilà que l’appareil voué à l’horizontalité se retrouve à la verticale. Les obsessions géométriques de Nolan sautent aux yeux. Comme si une scène égarée d’Inception nous parvenait*. La ville de Gotham fut construite comme une mégalopole rectiligne, truffée d’obscurité et aux ressemblances troublantes avec New-York et Chicago. Or, là, seule l’horizontalité prime. Le ville s’étend, se fait détruire par le haut. Tout se jouera sur le plancher des vaches.
Cette considération n’a rien d’anodine. Batman, c’est avant tout la créature de l’ombre, celle qui bondit d’immeuble en immeuble. Son pendant humain, Bruce Wayne, richissime héritier d’un papa bâtisseur, trône sur un empire économique grâce à sa fausse nonchalance. Avec The Dark Knight Rises, Nolan détruit tout. Wayne se retrouve ruiné, Batman ne peut plus profiter de sa principale force – les ténèbres – et Gotham perd sa verticalité. Difficile de saisir toute l’ampleur de l’histoire du film pour quiconque n’aurait pas vu Batman Begins. Rien n’est inattendu ici et à voir la saga dans sa globalité, il ne pouvait y avoir dénouement plus logique. En même temps, TDKR ne ressemble à aucun de ses deux prédécesseurs. On ne baigne plus dans le chaos simili-11 septembre de The Dark Knight. Le Joker restera le méchant le plus cérébralement glaçant de ces dernières années. TDKR va ailleurs. Il s’impose comme le vrai film post-11 septembre qui va jusqu’à déplacer les guérillas afghanes dans les rues de Gotham.
La fin d’un monde
Bane, emblème d’un mal très physique, s’avère d’une complexité furieuse. Pas tant par son passé révélé que dans sa symbolique politique. Il ressemble à un terroriste moderne greffé à un fou furieux archaïque héritier des discours soviétiques. Les riches tombent de haut, voués au populisme qui ne sert que d’écran à un dessein purement crapuleux : détruire la ville. Bane est une brute épaisse mais jamais la mise en scène ne cherche à rendre spectaculaire (et donc à héroïser) la façon dont il cogne sur Batman. Se sachant assez faible sur les scènes d’action, Nolan a alors cette bonne idée de laisser à hauteur d’Homme les coups passer. Si l’on ne ressent pas la douleur des coups, on observe la déchéance de l’icône Batman avec la même froideur que son adversaire. L’homme chauve-souris doit dire adieu à ses avantages de terrain et d’armement. Il se bat désormais de jour, au milieu d’une Gotham enneigée et l’armada militaire appartient cette fois en grande partie à l’ennemi. Fatigué, Bruce Wayne puise dans la rage ; de là nait son nouveau défi qui fait que TDKR va plus loin que son prédécesseur, sans jouer de le surenchère. Nolan abandonne la volonté de réalisme poisseux qui l’aurait poussé vers un Coverfield movie. Paradoxalement, Gotham, cette fois filmée dans ses quartiers riches, n’a jamais autant ressemblée aux lieux américains que l’on connait (le Wall Street des Indignés en tête).
Tout TDKR façonne sa puissance sournoise par des intentions retorses. Sa richesse en fait un film finalement moins grand public. Le premier tiers expose beaucoup, surtout qu’il faut introduire pas mal de personnages nouveaux, avant que le héros masqué ne disparaisse pendant presque une heure. Et puis il y a l’attaque très impressionnante de Gotham en son cœur. Si l’on met à part la bande-originale assourdissante d’Hans Zimmer, la puissance narrative de TDKR laisse cois. Batman Begins était certainement le plus crépusculaire des films d’introduction d’une saga cinématographique ; TDKR s’avère à la fois plus sombre et d’une lueur surprenante. Les destinées de Gotham et de Batman furent toujours liées. Puisque la fin de Wayne est proche, tout comme la Gotham qu’on a connu, il faut préparer l’héritage. Joseph Gordon-Levitt, en flic intègre, surclasse le reste du casting. Il prépare à la fois l’après Batman, mais, de son œil humaniste, fait le procès de ceux qui ont menti pour bâtir une société soi-disant plus juste. En clair, il répond à ce qui pouvait passer pour un message fasciste à la fin de The Dark Knight. Si le mensonge Wayne/Gordon a aidé à éliminer un temps la délinquance, il n’a pas chassé les problèmes, il n’a fait que les enfouir.
Crépuscules et lendemains
L’intelligence de la trilogie Batman consiste à avoir fait de Bruce Wayne le vrai héros de l’histoire et de n’avoir jamais utilisé son alter-égo masqué comme être divin. Là où par exemple Spiderman 2 et Superman Return christianisaient la figure du super-héros, TDKR montre encore que le symbole Batman n’apporte pas que du bon. Il reste cet être qui fait rêver les enfants, celui qui refuse les honneurs publics et qui se sacrifie pour la bonne cause. Mais est-il un modèle de vie ? Sûrement pas. Tout ce que Wayne essaie de construire en tant qu’homme s’effondre. Il perd la femme qu’il aime face au Joker, il sacrifie son héritage ; quant à son manoir, il se retrouve consumé. Heureusement, deux figures viennent éclairer un ciel de plomb. Anne Hathaway, divine surprise très éloignée de la Catwoman de Burton, s’affirme comme l’élément le plus envoutant, venimeux et charmant du film. A pas de velours, elle truande, entourloupe et trahit sans toujours penser à mal. Espiègle, la féline profite de la seule jolie musique du film, thème pianoté façon Pierre et le Loup 2.0. L’autre figure, fil rouge de la trilogie, c’est Alfred, le majordome. Michael Caine y est toujours plus surprenant de douceur de regard, de bonté, d’intelligence.
Nolan part souvent d’une froideur théorique – presque kubrikienne – pour offrir des oasis d’émotions. La fin de la trilogie ne pouvait pas être plus belle. Tant pis si elle en laisse sur le carreau, The Dark Knight Rises est l’accomplissement d’un grand auteur qui avait déjà poussé son style au paroxysme avec Inception. En remettant en cause son propre langage, Christopher Nolan questionne aussi ses angoisses intérieures, celles de l’après-Batman (cf : la dernière scène du film). Encore une affaire d’héritage et de destin loin du tumulte.
*Plus de précisions à propos du style Nolan dans Batman via mon article sur Feux Croisés