PRÈS DU FEU : la beauté du geste
Sortie le 22 août 2012 - durée : 1h35min
Si on le décrivait par le menu, Près du feu ressemblerait de près à un bon gros mélodrame à l’américaine. C’est l’histoire d’un mec dont la femme, souffrant d’une maladie grave, n’en a sans doute plus pour très longtemps. Ancien chauffeur de taxi, devenu travailleur agricole sans doute pour offrir à Alejandra une fin de vie plus tranquille, Daniel partage son temps entre les champs et le chevet de son aimée. Déjà auteur d’un Huacho précis et sans complaisance, Alejandro Fernández Almendras va plus loin et atteint une forme de vérité proprement bouleversante dans son traitement du quotidien. Débarrassé de ses oripeaux sentimentalistes, le fil narratif de Près du feu laisse place à une description incarnée et pleine de cœur des journées d’un Daniel ne prenant même pas le temps d’être triste tant il est occupé. Le film est un nuage : il ne se focalise pas sur l’échéance de la mort d’Alejandra mais ne tente jamais d’occulter ce drame prochain. Le cinéaste fait flotter ses personnages dans un état de grâce embrumé, engorgé de tristesse mais pas larmoyant, où chaque détail peut receler des trésors de beauté.
Hymne à la beauté du geste, il redonne une vraie place aux actions élémentaires et aux instants supposés ordinaires. Au service de ce désir, Almendras joue avec un parti pris assez étrange mais très révélateur. En exergue de chaque chapitre de son film, il affiche une citation qui sera prononcée par Daniel dans les séquences à venir. Il s’agit de montrer que toute parole, même la plus banale, peut revêtir une importance capitale ; que la beauté des mots n’est pas dans leur complexité mais dans l’amour qu’on y met ; que notre personnage, comme hélas tant d’autres avant lui et après lui, est un pur héros du quotidien, mettant sa propre existence entre parenthèses pour se donner tout entier à celle qu’il aime et aux tâches qui lui incombent. La méthode pourrait paraître saugrenue mais le traitement est d’une telle sincérité qu’il n’est pas permis de douter des intentions du metteur en scène, lequel clôt chaque chapitre par de bouleversantes salves de piano, comme autant de pages qui se tournent. D’un naturel absolu, le film n’est marqué que par ces deux artifices qui n’en sont pas, rendez-vous réguliers insufflant un rythme délicieusement routinier à ces existences qui n’ont pas, hélas, de beaux jours devant elles.
Sans jamais sombrer dans l’hagiographie vis-à-vis de son personnage principal, sans oublier non plus la souffrance physique d’une Alejandra de plus en plus fantomatique, Près du feu s’échine donc à montrer que la pénibilité des jours qui passent ne peut pas en masquer la beauté. Vers la fin, Daniel se trouve contraint de s’occuper seul de la maison tout en veillant à combler les besoins et les désirs de son épouse. Stopper son activité pour aller changer la chaîne de la télévision de la chambre, dépourvue de télécommande ; déployer quelques efforts supplémentaires pour construire une luge de fortune afin de profiter ensemble des dernières neiges ; nourrir un chaton ramené là il y a peu, façon supplémentaire de se raccrocher à la vie : douloureux, superbe ou anodin, chaque geste ressemble à une preuve d’amour supplémentaire, une tentative de se créer quelques ultimes souvenirs dans l’urgence. Aucun angélisme chez Almendras, qui pointe du doigt les failles de son héros mais ne s’autorise aucun jugement. Par lassitude, Daniel choisit parfois de ne pas répondre aux appels téléphoniques de sa femme et de vivre encore un peu pour lui-même. Un besoin de liberté et d’ailleurs qui finira même par le faire tomber dans les bras d’une autre femme le temps d’un cinq à sept. Brisant l’admirable équilibre qui lient Daniel à Alejandra, ces quelques heures de faiblesse permettent paradoxalement de le rendre plus humain, comme si le futur veuf irréprochable daignait enfin montrer une faille. À cet égard, la dernière scène est d’une puissance époustouflante, donnant au personnage l’occasion d’évacuer enfin une partie de sa rage. Plus charismatique que son titre français un peu pauvre, Près du feu est contemplatif mais sait se faire accessible par la tendresse et la vigueur de son style. Et fait définitivement d’Alejandro Fernández Almendras un réalisateur à suivre.