Massacre à la tronçonneuse
Quand le film est tourné, j’ai dix ans, mais bien sûr, je n’en entends pas parler à ce moment-là. Je crois que la première fois que j’ai entendu ce titre, c’était à l’occasion de l’édition du Festival Fantastique d’Avoriaz de 1976, où il obtiendra le Prix de la Critique.
Au cours d’un reportage sur le Festival à la télévision, je me souviens d’avoir vu – très fugitivement – quelques images d’un homme portant un masque effrayant et courant avec une tronçonneuse dans un bois. Quelques secondes extraites du film, mais qui m’ont donné instantanément l’envie de le voir. Je me souviens des réactions de la critique de l’époque: « abominable », « terrifiant », « insoutenable », dans tous les cas « impossible à regarder ».
Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, c’est cette image qui revient à la surface : un photogramme de mauvaise qualité, granuleux, représentant l’homme au masque hideux en train de courir sur une route, portant son terrible engin ; une photo sans doute aperçue dans L’Officiel des Spectacles, ma Bible de l’époque.
Ce film, je l’ai enfin vu, plus tard, en 1982, une fois libéré de la censure. J’ai donc subi cet électrochoc à retardement, mais la force de sa découverte ne s’est jamais altérée depuis.
Le Crocodile de la Mort
Là encore, une photo noir et blanc en feuilletant l’Officiel des Spectacles devant la grille du collège. On y voit un acteur fou furieux (Neville Brand) armé d’une faux. À ses pieds : un énorme saurien. Le nom de Tobe Hooper revient une nouvelle fois, mais je n’ai toujours pas l’âge de voir le film. Massacre à la tronçonneuse est passé par là, et la réputation du réalisateur n’est plus à faire.
Je découvre le film bien plus tard, au début des années 80, au moment où fleurissent les vidéo-clubs. Sur la jaquette de la cassette, on voit la tête hirsute du personnage, un obscur tenancier d’hôtel, et sa faux surdimensionnée. Le crocodile occupe toute la partie inférieure de l’image, mais finalement on le verra très peu dans le film. On comprend rapidement qu’il n’est qu’un alibi et et qu’il est surtout présent pour attirer le spectateur, sensibilisé aux monstres aquatiques depuis le Jaws de Spielberg.
Je me souviens de cette histoire tournée en intérieur, presque théâtrale, avec ces tons rouges et sombres, couleur néons, à mille lieues du soleil aveuglant de l’opus précédent.
Massacres dans le train-fantôme
Encore une découverte en cassette au vidéo-club du coin. Un nouveau film d’horreur, mais signé d’un réalisateur qui me devient peu à peu familier. Je suis bien conscient qu’il ne pourra jamais refaire Massacre à la tronçonneuse, en réitérer l’impact, mais l’univers qu’il continue à explorer n’en est pas moins intéressant pour autant.
Enfant, j’avais terriblement peur du train-fantôme. Lorsqu’on m’emmenait à la fête foraine, je craignais d’y pénétrer, et en même temps j’en avais terriblement envie. J’étais tiraillé entre la peur et le désir. J’ai finalement surmonté mon appréhension et suis entré dans un train-fantôme, mais très tard. La peur avait disparu, ou presque : j’avais grandi. Mais j’ai retrouvé dans The Funhouse (le titre original est bien plus beau) quelque chose de cette excitation ancienne, de ce plaisir défendu de se faire des frayeurs. Une fois de plus, Tobe Hooper nous prouve que les monstres ne sont pas forcément ceux auxquels on pense.
Poltergeist
Hasard de la programmation, je découvre Poltergeist juste après Massacre à la tronçonneuse. Je me souviens avoir été un peu déçu à l’époque, car encore sous le choc du film précédent. Et puis, Poltergeist sortant la même année que E.T., j’y voyais plus un film de Spielberg que de Hooper. Pour moi, le second se perdait un peu dans l’univers du premier. Pourtant, ce que j’ai trouvé passionnant avec les années, c’est justement cette association faite de deux réalisateurs a priori incompatibles. Même avec le recul de plusieurs décennies, il est encore intéressant de chercher quelle part de l’univers de l’un a contaminé l’autre. Pour moi, malgré la banlieue spielbergienne et l’image centrale de la famille, c’est Hooper qui sort vainqueur du combat, avec ces cadavres remontant à la surface, ces tombes sortant de la terre, cette côte de boeuf qui avance par reptation sur le plan de travail de la cuisine, ce visage défiguré devant la glace et cet arbre gigantesque qui vient kidnapper l’enfant dans sa chambre par une nuit d’orage. Et puis, impossible d’oublier le poste de télévision, ce dieu tout-puissant devant lequel se prosterne l’Amérique.
Lifeforce
Hooper arrive après Ridley Scott (Alien) et John Carpenter (The Thing). Il est donc donné perdant… et il perdra. Sauf que son Lifeforce possède encore aujourd’hui un charme suranné, indéfinissable, qui lui donne une patine provenant d’une autre époque. Lorsque le film sort, c’est l’échec. Il est bancal, évoque qu’autres classiques sans s’y raccrocher vraiment ; il apparaît hybride et monstrueux. Pourtant, il laissera au final une empreinte durable chez les cinéphiles: impossible d’oublier les aspirations de corps par les baisers vampiriques de la jolie extra-terrestre (la sublime Mathilda May, qui traverse le film entièrement nue du début à la fin), ni la destruction de Londres, transformant la population en une horde de zombies (Stephen King s’en souviendra-t-il lorsqu’il écrira Cellulaire ?).
Rencontrer le Maître
J’ai rencontré Tobe Hooper une première fois à l’occasion de Mortuary, son premier film à connaître les honneurs d’une sortie en salle après vingt ans de purgatoire télévisuel et de Direct to DVD. Il avait participé à une master-class à la FNAC du Boulevard Saint-Germain (qui aujourd’hui n’existe plus), nous livrant généreusement quelques réflexions sur son cinéma et nous gratifiant de quelques anecdotes. Je me souviens de son sens de l’humour, et surtout de sa disponibilité envers ses admirateurs allant discuter avec lui à l’issue de cette longue interview d’une heure. Cette master-class a d’ailleurs été filmée et figure sur le DVD de Mortuary (on me voit même, de dos !). Le service de presse avait bien fait les choses en distribuant des t-shirts « Tobe Hooper’s Mortuary ». Je le possède encore, et l’ai d’ailleurs arboré souvent dans mon bureau pour écrire Les territoires interdits de Tobe Hooper.
C’est à cette époque que je me suis dit que ce serait intéressant d’écrire un livre sur Hooper, qu’excepté l’ouvrage de Jean-Baptiste Thoret consacré à Massacre à la tronçonneuse, rien n’avait été écrit sur l’ensemble de sa carrière. L’idée a commencé à me trotter dans la tête, et puis le temps a filé et je suis passé à d’autres projets, comme l’écriture de romans.
J’ai rencontré une seconde fois Tobe Hooper lorsqu’il est venu présenter la version restaurée de son chef d’oeuvre au Grand Rex. Je n’ai pu le voir le soir-même (trop de monde, trop d’effervescence), mais le lendemain de la projection, dans une librairie où il était venu dédicacer affiches de films et jaquettes de DVD. J’ai pu m’entretenir avec lui et lui exposer mon projet de livre qui lui serait consacré. Là, j’ai perçu son sourire et son oeil bienveillant. Il venait de donner l’impulsion à l’écriture de cet ouvrage.
Je tiens également à remercier Jean-Baptiste Thoret, dont j’apprécie le travail depuis des années, tant au travers de ses livres que par ses conférences, pour m’avoir fait cadeau de cette magnifique préface qui vient parachever ce texte sur Tobe Hooper.
Dominique Legrand